MANSOUR
BAHRAMI, l'ami tennisman
Entretien réalisé par Frédéric Sugnot
L’Iranien est une légende du tennis. Presque
au même titre que McEnroe, Wilander ou Vilas avec lesquels il joue à
partir de lundi le trophée des légendes sur les courts de la porte
d’Auteuil. Entretien.
Chaque trente secondes, un directeur de
tournoi, Gustavo Kuerten, Nicolas Escudé, une ancienne gloire de la
raquette, un illustre inconnu vient le saluer. Mansour Bahrami,
quarante-trois ans, Iranien, est une attraction dans le petit monde de
la balle jaune. Ses amorties rétros, ses coups entre les jambes, sa
balle envoyée dans le ciel et récupéré dans la poche du short ont fait
rire les foules du monde entier. Son itinéraire vaut aussi le détour.
Il est impossible de faire un pas ici sans
que quelqu’un ne vienne vous saluer, mais lorsque vous avez débarqué à
Roland Garros, l’accueil n’a pas été le même ?
La première fois que je suis venu porte
d’Auteuil c’était en 1975 ou 1976, j’avais perdu dans les
qualifications. J’y suis revenu seulement en 1981. Cette fois, je
m’étais qualifié. C’était l’époque où j’étais clandestin, je n’avais pas
de papier.
Au premier tour, j’avais battu le Français
Jean-Louis Haillet. Ensuite, j’affronte l’Américain Mel Purcell, il
était numéro 20. Je jouais en quatrième match, je pensais rentrer sur le
court vers 18 heures. Mais je ne sais pas ce qui s’est passé, il a du y
avoir des abandons avant mon match... À 13 h 45 j’étais encore au
restaurant où, à l’époque, il n’y avait pas de speaker pour nous
appeler. Tout à coup le Néo-Zélandais Chris Lewis me dit : " Mansour,
l’arbitre vient de t’appeler pour la dernière fois. " Alors, j’ai pris
mes affaires au vestiaire, j’ai couru vers le court. En arrivant, j’ai
demandé à Purcell de m’excuser, il n’a pas voulu me serrer la main, il
m’a même dit " Fuck You ". Il avait la haine parce que j’étais Iranien
et qu’il était Américain. À la fin du match que j’ai perdu en quatre
sets, il ne m’a pas serré la main non plus. Je me souviens très bien
qu’il y avait une grande photo dans le Tennis Magazine de l’époque où on
le voit me faire un bras d’honneur.
Une heure après le match, Purcell est
pourtant venu s’excuser en me disant qu’il s’était conduit comme un con.
C’est la seule fois où j’ai eu ce genre de problème sur le court à cause
de ma nationalité.
Vous avez joué au tennis parce que votre
famille était riche ?
Mansour Bahrami. Non. Mes grands parents
avaient beaucoup de terre et de bétail mais ils ont tout perdu. Mon père
est donc venu à Téhéran où il a été embauché comme jardinier dans le
plus grand complexe sportif du pays. J’avais dix mois. Plus tard, je
n’avais même pas la possibilité de jouer sur le court, j’avais juste le
droit de ramasser les balles pour les gens riches. Je n’ai eu ma
première raquette qu’à l’âge de douze ans. Je l’avais fabriqué moi-même
avec un cadre en bois et des bouts de cordage que j’avais récupéré dans
les poubelles pour les nouer ensemble. Elle était cassée le lendemain.
Je m’en souviens encore... C’était au mois d’août, il faisait 45§C, il
n’y avait personne dans le club et j’étais entré sur le court central
avec un copain qui, lui, avait le droit d’y pénétrer. On a joué deux
minutes avant que les gardes ne nous encerclent. Un des gardes m’a
frappé contre le ciment, je saignais de partout, il a attrapé ma
raquette, j’avais la tête qui tournait, je lui ai dit : " S’il te plaît,
ne casse pas ma raquette. " Le gars l’a mis sur une marche et il l’a
broyé. Et puis voilà... (ému). Aujourd’hui encore quand je parle de cet
épisode, j’ai une boule.
Il y a deux ans, j’ai revu ce type avec mon
fils, il m’a dit : " Ah ! Mansour, on est fiers de toi, on entend
partout que tu joues bien. " Il avait beau dire çà, je n’ai jamais
compris son geste.
Être Iranien et jouer au tennis, c’est
ensuite devenu impossible au moment de la révolution islamique en 1979 ?
Oui. En 1975, j’ai commencé à tourner sur le
circuit grâce à un mécène qui me soutenait. Je commençais à avoir un
classement honorable et puis la révolution a commencé en Iran... Elle a
tout bouleversé dans ma vie. Je n’ai pas pu jouer au tennis entre 1978
et 1980. Évidemment, les frontières se sont fermées. C’était même
dangereux de jouer au tennis, il y avait des centaines de milliers de
gens dans les rues qui protestaient contre la pauvreté alors que ce
sport était réservé aux gens très riches. À Téhéran par exemple, il n’y
avait que trois ou quatre clubs. Même si je n’ai jamais été menacé, je
ne pouvais plus pratiquer mon sport.
C’est alors que vous décidez de quitter
l’Iran ?
En 1980, je réussis à décrocher un visa pour
la France grâce à un ami qui connaissait bien le ministre des Affaires
étrangères. Je débarque à Nice avec 8 000 francs en poche et là je me
dis que sur la Côte-d’Azur, cette somme ne va durer que dix jours.
Alors, je décide de jouer mes huit mille balles au casino. J’ai tout
perdu. La suite, c’est une très, très longue histoire.
Tout s’arrange en fait après Roland-Garros en
1981 ?
Oui, même si en 1981, je suis resté dans
l’illégalité entre février et mai. Dès que je voyais des flics à cent
mètres de moi, je changeais de direction. Ensuite, la presse s’est
emparée de mon histoire et ma situation s’est arrangée. Mais de 1981 à
1986, j’ai joué uniquement en France. Je n’ai commencé à sortir du pays
qu’en 1986. Je ne pouvais même pas aller en Belgique. Entre vingt et un
et trente ans, je n’ai pas pu disputer de tournoi professionnel. En
1986, j’ai obtenu une carte de résident à vie puis je suis devenu
Français en 1989 avec la double nationalité.
Après cela, vous avez surtout fait carrière
en double parce qu’en simple, c’était plus difficile de contrôler les
dérapages ?
En simple je faisais trop de conneries. En
double, j’étais plus sérieux parce que si je faisais n’importe quoi je
n’aurais jamais trouvé de partenaire. J’ai joué comme ça toute ma vie
parce que j’ai appris à jouer tout seul. Personne ne m’a jamais dit : "
Arrête ça et joue sérieusement. " Quelque part mes conneries m’ont servi
parce que maintenant je joue dans le monde entier pendant quarante
semaines par an. J’adore être sur le court, je suis dans mon jardin.
Quand je vois que des gamins se tordre de rire en me regardant jouer, ça
n’a pas de prix.
Il y a bien un match que vous avez joué
sérieusement ?
Oui, une fois. En 1990 contre l’Australien
Todd Woodbridge au premier tour de Roland-Garros. J’ai finalement perdu
ce 8-6 au cinquième set après avoir mené 5 jeux à 3. J’avais joué à fond
parce qu’après je devais être opposé à André Agassi. Je regrette d’avoir
perdu cette partie... Sur le central, j’aurais mis tout le monde dans ma
poche.
Et le match le plus " fou " ?
En 1991, je rencontre Yannick Noah au
deuxième tour du tournoi de Bâle, je me blesse derrière la cuisse, je ne
peux plus courir mais je peux encore marcher. Le kiné me demande
d’arrêter, je refuse parce que je n’ai jamais abandonné un match. J’ai
alors dit à Yannick : " Tu as gagné mais on va jouer pour le public. "
On a fait un show fabuleux. À la fin du match, l’arbitre ne savait plus
quoi faire, quel score il devait annoncer. L’agent de Noah et McEnroe
qui était là n’en pouvait plus de se marrer... Pendant une heure et
demi, les gens se roulaient par terre.
Article paru le 3 juin
2000 dans le Journal « L’Humanité »
Il a également raconté
ces épisodes de sa vie dans « Vie privée, vie publique » sur France 3,
le 1er décembre 2004
Bahrami, la balle
d'oxygène
Journal L'Alsace du
11 novembre 2002 - Jean DEUTSCH

Photos
M.H.
À 46 ans,
l'Iranien sera aujourd'hui, à Mulhouse, le « joker » du TC Illberg qui
rencontre Melun. Un rôle qu'il prend avec sérieux, même si le plaisir
reste le maître-mot du fringant vétéran.
MANSOUR BAHRAMI est
« LE » joker par excellence. Ce matin, dans les rangs du
TC Illberg qui affronte Melun pour le compte de la 3e
journée des interclubs, il constituera un renfort de par
son classement (-15), même si sa seule présence sera sans
doute insuffisante pour permettre aux Haut-Rhinois de
décrocher leur première victoire de la saison. Elle
devrait en revanche être largement suffisante pour garnir
les tribunes du club mulhousien, tant la réputation du «
joker » (« plaisantin », en anglais littéral) des courts
n'est plus à faire. Mais qu'on ne s'y trompe pas : amuseur
public n° 1, Mansour Bahrami veut avant tout ramener un
point à son club, même s'il n'a plus défendu les couleurs
alsaciennes depuis une petite dizaine d'années. « Quand
Laurent Naegelen m'a contacté pour jouer un match, j'ai
tout de suite accepté, explique l'Iranien, qui est encore
-15 au classement français. Ça fait longtemps que je n'ai
plus joué en interclubs, et ça me fait plaisir de
retrouver cette ambiance. Même si je m'entraîne souvent à
Roland-Garros contre des joueurs 1e série, je ne joue plus
que des matches dans le Senior Tour ATP ou des
exhibitions. Alors là, de jouer en match officiel contre
un joueur 1e série, ça me fait envie. D'autant que je me
dis que je peux peut-être encore le battre… » Pour ce qui
est de l'entraînement, Mansour Bahrami n'a rien à envier,
à 46 ans, aux Nicolas Coutelot ou Dick Norman qu'il
devrait affronter aujourd'hui en simple, ou au Mulhousien
Jérôme Haehnel avec lequel il a « tapé la balle » samedi
après-midi à Roland-Garros. « Je m'entraîne tous les
jours, et pas seulement pour me maintenir en forme ou
parce que le tennis est mon métier. Le tennis, c'est mon
oxygène. Quand je ne joue pas pendant deux jours, le
troisième jour, j'en suis malade ! C'est une vraie drogue,
et en plus je suis payé pour ça ! Quand on me demande quel
est l'endroit où j'ai préféré jouer, je réponds toujours :
"Partout !" Parce que monter sur un court de tennis, pour
moi, c'est un plaisir, où qu'il se trouve sur la planète
».
Interdit de tennis
Mansour Bahrami ne
le cache pas : s'il est boulimique de tennis, c'est sans
doute qu'on l'a longtemps privé de sa passion. En Iran,
d'abord, où il fait ses premières gammes avant que la
Révolution islamique ne lui interdise de pratiquer ce
sport. En 1980, il arrive en France, mais tous ses
problèmes ne sont pas réglés pour autant : il ne peut
quitter le territoire national jusqu'en 1986, ce qui
l'empêche de tenter sa chance sur le circuit ATP en
simple. L'Iranien n'entamera sa carrière internationale
qu'à 30 ans, atteignant dès 1987 le 31e rang mondial en
double. Deux ans plus tard, aux côtés d'Eric Winogradsky,
il s'incline en finale de Roland-Garros contre l'une des
meilleures paires mondiales, les Américains Jim Grabb et
Patrick McEnroe. Plus que ses victoires, son jeu
imprévisible, d'une créativité délirante, lui vaut un
succès d'estime auprès de tous les publics du globe. « Au
départ, ma manière de jouer n'était pas du tout calculée
pour faire rigoler les gens, explique pourtant Mansour
Bahrami le plus sérieusement du monde. J'ai toujours eu un
tennis différent. Je tentais des coups que les autres
joueurs ne pouvaient pas ou n'osaient pas tenter. Mais
pour moi, c'était simplement le meilleur coup à jouer sur
ce genre de balle. En Iran, quand j'avais six ans, je
jouais au tennis avec un bout de bois, et c'est ça qui m'a
sans doute fait développer cette adresse. Aujourd'hui, les
gens viennent toujours me voir à cause de ce jeu atypique,
mais au départ, ce n'était vraiment pas fait pour le
spectacle ! » Ce matin, contre Melun, il tentera de
redonner à ces coups leur efficacité d'antan, même si le
showman ne sera pas très loin : « Bien sûr, quand je joue
un match, ça me fait plaisir de le gagner. Mais de perdre,
ce n'est pas un drame pour moi. Par contre, si je perds et
que je vois que les gens ne se sont pas marrés, là, c'est
dramatique. Pour cette raison, ce match contre Melun,
c'est avant tout une super occasion de faire la fête. Avec
les anciens et les nouveaux du club. Et avec les
spectateurs, bien sûr ! »

Photos M.H.
« De plus en plus de bons joueurs
»
Avec presque
un demi-siècle de tennis dans les jambes, Mansour Bahrami est un
observateur pour le moins privilégié de son sport. « De Leconte et
Tulasne jusqu'au petit Gasquet, j'ai joué contre à peu près tous les
meilleurs joueurs français, explique l'Iranien. Il y a 20 ans, on avait
quatre, cinq bons joueurs, avec un fossé derrière eux. Aujourd'hui, ce
qui me frappe le plus, c'est le nombre de bons joueurs qu'on a en France
: il y en a de plus en plus ! Et forcément, c'est devenu plus dur pour
eux, parce qu'ils ne peuvent pas tous être n° 5 mondial… » En trente ans
de pratique à haut niveau, le Mulhousien d'adoption a également eu le
temps de rattraper le temps perdu. Les McEnroe, Borg ou Connors qu'il ne
pouvait affronter faute de visa dans les années 80, il les retrouve — et
bat — régulièrement dans les tournois ATP Seniors aujourd'hui. Mais
l'une de ses grandes fiertés est d'avoir réuni récemment 8000
spectateurs pour une exhibition à Téhéran, alors que l'Iran ne compte
toujours que… 5000 licenciés. « Là-bas, à part ceux qui ont une parabole
ou qui sont dans un club, les gens ne connaissent pas le tennis. A
Téhéran, quand je me promène dans la rue, personne ne me reconnaît !
s'amuse le joueur à la moustache drue. C'est pour ça que c'était super
d'avoir autant de monde lors de ce tournoi ». A 46 ans, il relativise
pourtant grandement la portée de son sport : « Aujourd'hui, le tennis,
pour moi, c'est un plaisir, pas un rêve. Je pourrais dire : "Je rêve de
jouer avec Maradona, Zidane…" Je les adore, mais ce n'est pas un de mes
rêves. Si je devais avoir un rêve aujourd'hui, ce ne serait pas en
rapport avec le tennis. Ce serait qu'il y ait la paix dans le monde. Ça,
c'est un rêve !

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